lundi 22 janvier 2024

L'attente

 


L'attente


Comme au plus profond de l'abîme

Comme si j'étais la victime 

Comme dans un espoir infime

Je t'attends, 


Comme si ma vie en dépendait

Comme si le soleil se mourrait 

Comme si la nuit jamais n'étincellait

Je t'attends 


Comme une mourante asphyxiée 

Comme un soldat amputé 

Comme si un geste suffisait 

Je t'attends


Je t'attends, 

Je ne suis pas raisonnable

Je t'attends

Ma peine n'est pas acceptable

Je t'attends

Un poison me dévorant

Un feu me consummant

Un tourment angoissant

Un poignard me transperçant 

Une douleur me torturant

Moi agonisant 

Je t'attends

Je t'attends en espérant

Te retrouver comme ce j

our

Qui deviendrait toujours





samedi 20 janvier 2024

Mon ange












Impuissante, 
Mes larmes ruisselantes,
Mon cœur émietté 
Ma peine, une épée 

J'attends, j'espère
Je crains, j'exagère
Tu n'es pas là
Ailleurs, ici ou là

Inquiète, effrayée
Insatisfaite, terrifiée
Je m'ennuie de toi
J'ai besoin de toi

Le temps passe
Le désir reste
 La folie remplace
 Le doute funeste

Encore une minute
Une insoutenable minute
Une minute qui s'allonge
Le silence se prolonge

Au point d'avoir mal
De prier un Dieu cruel ou d'exhorter le Malin
Au point de vouloir se faire du mal
Pour conjurer le supplice inhumain

Quand enfin te voilà, toi, mon ange
Comme une étoile dans le ciel, 
tu me guides,
me consoles, 
me guerris
Mon âme s'envole
Légère et apaisée











Boris Vian : Berceuse pour les ours qui ne sont pas là

 

Oursi ourson ourzoula

Je voudrais que tu sois là

que tu frappes à la porte

Et tu me dirais c’est moi

Devine ce que je t’apporte

Et tu m’apporterais toi 


Depuis que tu es partie

j’ai de l’ennui tout autour 

ça me ravage le foie

beaucoup mieux qu’un vrai vautour

Et je ne sais plus quoi faire

Alors j’ai pris tes photos

je les pendues au mur

Et j’ai dit regardez-moi

avec vos yeux d’autre part

Ce sont les seuls yeux du monde

Dans lesquels j’ose le voir


Le Bärchen était au mur

Et il s’est mis à pleurer

parce que j’étais si triste

il voulait me consoler


Les autres peuvent me dire

des choses, des choses, des

choses mais que j’oublie vite

toi je sais ce que tu dis 

Je me rappelle ta voix

Je me rappelle tes mots


Je t’ai suivie à la gare

je suis monté dans le train

mais il est parti tout seul

Tu disais que je m’en aille

pour ne pas que je m’ennuie

en attendant sur le quai


Plus jamais une seconde

plus jamais sans te toucher

savoir que tu es si loin

ne pas pouvoir y aller

mais comme un pauvre imbécile

Je disais pour quelque jours

se séparer, c’est facile

après tout, s’il arrivait

que tu partes en tournée


Il faudrait nous habituer 

mais tu vois si j’étais bête …

Car on ne s’habitue pas

à crever, même en six mois. 


    Oursi Ourson Ourzoula

Je voudrais que tu sois là

Tes talons dans l’escalier

feraient le bruit que je guette

et tu serais dans mes bras


C’est dimanche, il est huit heures

Et je ne veux pas sortir

Et je m’ennuie à mourir

Alors je t’écris, mon ange

Une chanson du dimanche

Une chanson pas très drôle

Mais on y rajoutera

Mardi soir, un 

grand couplet

Viens dormir sur mon épaule

et on ne dormira pas


 


vendredi 19 janvier 2024

Croquembouche

 


Avec souplesse et délicatesse, le chat se faufile

Sur ses pattes délicates, habile

Les moustaches frétillantes et l'humeur légère

Il guette la souris coquette d'un œil sévère


Il s'approche, furtif, concentré, la bave aux lèvres

Quel festin, mes amis, à quelques pas de souris

Il renifle, hume l'odeur suave et charnue,

Candide la souris se croyait bénie, se trouva bien eu


Traquée, violentée et bientôt croquée

La pauvre souris, piégée, dans la gueule du chat

Terrorisée, asphyxiée, à l'agonie, devenue son jouet

Se met à couiner, à prier, à espérer le trépas


Implorant, suppliant le ciel ou un divin

Boursouflée, nécrosée, hideuse, la souris se meurt

Le chat espiègle et facétieux, se lassa soudain 

Pétrie, lacérée mais en vie, la souris vainqueur 


Le chat partit, allègre, sur ses coussinets dodus

Vers de nouvelles péripéties de matou 

La souris à bout de souffle tout de grâce vêtu 

Est rentrée, tel un revenant d'ou

tre-tombe, dans son trou 

En éclats

 C'est en imaginant ce que tu deviendrais si je n'étais plus là, que j'ai trouvé la force de continuer. Chaque heure, chaque jour, chaque semaine. Je suis là près de toi. Je suis là pour toi. Je supplie le ciel pour que tu ailles mieux. Pour que tu ne te mette pas en colère. Encore une fois. Je sursaute malgré tout quand le verre vint se fracasser contre le mur. 


Je te regarde impuissante. Tu me regardes avec cet air de défi qui me transperce le cœur. Je baisse les yeux. Je me lève ramasser les morceaux de mélamine. J'ai changé il y a plusieurs mois toute la vaisselle. Pour éviter que tu te blesses. Que tu me blesses. Quand tout à coup tu cours à la cuisine. J'entends les portes de placard cogner, les tiroirs taper, de la vaisselle jeter. Tu te retournes et me regardes avec un air mauvais. 

- Où sont les couteaux ? craches tu soudain

Je ne réponds pas. Je me lève. Contourne le canapé. Et je cours vers la salle de bain. Je m'enferme. J'ouvre la boîte à pharmacie. Je sors le flacon de neuroleptique. Mes mains tremblent. Je n'arrive pas à l'ouvrir. J'essaie de me rappeler si j'ai bien rangé sous clé tous les couteaux. M'en suis je servi d'un ce matin ? Je ne sais plus. 


J'arrive enfin à ouvrir ce stupide flacon mais il m'échappe des mains. J'entends des bruits de pas. Puis de grands coups contre la porte. 

- Je vais te TUER, hurles-tu, tu m'entends? Je vais te couper la gorge et je te regarderai te vider de ton sang!

Il faut que je ramasse ces foutus comprimés. Je sens ma poitrine me serrer. J'ai si mal. Je t'aime. Mais c'est tellement difficile. Chacune de tes paroles me blesse, me déchire, meurtrie mon âme. J'essaie de respirer. J'essuie mes larmes qui me brûlent. Je me sens cette souffrance au plus profond de mon être. Une peine infini. Un gouffre de chagrin. Comment est-ce possible ? Comment en est on arrivé là ?


Il y a deux mois, tu as réussi à trouver un couteau. Tu me l'a planté dans le ventre. Comme ça. Facilement. Obsessionnellement. Cruellement. J'ai senti le métal traverser mes chairs. Et mon âme. Je ne t'en voulais pas. Tu n'étais plus toi même. Tu me regardais. Tu me jaugeais. On aurait dit que tu essayais de deviner ma douleur. Ma douleur viscérale, physique ou ma douleur émotionnelle, mentale. Je ne saurais dire. Le supplice n'a pas durait. Tu es parti comme pris d'un remord ou peut être autre chose. J'ai pu appeler les secours. J'ai menti. J'ai dit que je m'étais blessée toute seule. Je touche ma cicatrice. Elle me rappelle à quel point je t'aime.



 Je réussis à ramasser ces maudits comprimés. Je me relève. Respires profondément. Je ne t'entend plus. Je m'approche de la porte. J'y pose mon oreille. Mais je n'entends toujours rien. Je la déverrouille. Et je sors. Sur la pointe des pieds. Je longe le couloir. Tu es dans le salon. Un air mauvais. Machiavélique. Presque animal. As tu trouvé un couteau ? Tu te jettes sur moi. Je me pousse d'un coup sur le côté. Tu trébuches dans le tapis. J'en profite et enfonce deux comprimés orodispersibles sous ta lèvre. Je te maintiens la tête. Je te caresse les cheveux. Tu as l'air calme. Mais ce n'est qu'une illusion. Mais tu restes pourtant tranquille. Les comprimés se dissolvent et commencent à faire effet. Tu respires plus lentement. Tes traits se détendent. 

Je t'aime. 

Mais c'est tellement difficile. 

Je vous présente Erwan. 

C'est mon fils.


Il a dix ans.



La porte du placard


- Maman j'ai peur!

La veilleuse éclaire doucement la chambre. La porte du placard est gentiment fermée. Mais Martin tremble. Il sait que quelque chose ne va pas. Ce quelque chose que l'on devine, que l'on sent, que l'on ressent sans pouvoir le nommer. Mais on sait, oui on sait que ce n'est pas une bonne chose. 

- Mamannn! hurle Martin

Justine, sa mère, finit par venir. Las. Comme tous les soirs. Son fils l'appelle. Il a peur du croque-mitaine dans le placard. D'où peut bien lui venir cette idée. Elle essaie patiemment de lui démontrer qu'il n'y a pas de monstre dans le placard. Ni sous le lit. Ni derrière les rideaux. Elle lui caresse la joue. Le rassure. Lui répète qu'elle est juste à côté. Qu'il ne peut rien lui arriver. Que tout ira bien. Tout en sachant qu'elle devra recommencer la même scène plusieurs fois avant que son fils ne trouve le sommeil.


Justine se rappelle quand tout a commencé. Juste après l'accident. L'accident qui a pris la vie de son mari, le père de Martin. C'était l'année dernière. Il faisait nuit. Il roulait trop vite. L'autre voiture aussi. Il pleuvait. Et tout a été très vite. C'était fini. Martin s'est renfermé. Les cauchemars ont commencé. Et des peurs irrationnelles sont apparues. Le croque-mitaine. D'après le psychiatre, c'est une projection de sa peur. Le croque-mitaine veut le prendre. Car un petit garçon ne doit pas grandir sans son père. Au fond de lui, il préférerait être capturé par le croque-mitaine plutôt que de se réveiller jour après jour sans son papa. Son héros. Sa forteresse. Celui en qui il avait tant confiance. Son père le protégeait. Avec lui rien ne pouvait arriver. Sauf l'impensable apparemment. 


-Maman ? Y'a un bruit bizarre dans le placard !

A chaque plainte de son enfant, un morceau du coeur de Justine s'émiette. A chaque cri, une part de son âme se meurtrit. Chaque soir, le supplice recommence. Chaque nuit, les ténèbres qui le ronge, s'empare de lui un peu plus. Cette solitude infinie. Une torture acide. Une tristesse suffocante. Comment un petit garçon de 6 ans peut supporter un tel chagrin ? 


- Regarde Martin le placard est vide

Elle allume la lumière pour bien lui montrer. 

- Tu voies, il n'y a personne !

Elle prend son fils dans ses bras. Le berce doucement en lui chantant un air apaisant. 

- Personne ne viendra te chercher. Ta place est ici. Tout ira bien. Je suis là. Je n'irai nul part. Je suis avec toi. 

Elle reste près de lui jusqu'à ce qu'il s'endorme.


La porte du placard se met à grincer. Sournoisement. Méchamment. Elle s'entrouve. Le lumière perce les ténèbres. Une ombre surgit. Un ricanement lugubre et mauvais se fait entendre.

- Maman ! Maman ! A l'aide ! Il est là !

Justine se précipite dans la chambre et trouve son petit Martin assis dans son lit, les yeux vides grands ouverts fixant la porte du placard. Elle s'approche lentement. Une main tendue.

-Martin ? Réveille toi mon chéri. C'est un cauchemar. 

Elle pose sa main sur son épaule. Il tourne la tête. Sans la voir. Elle lui caresse la joue. Ses yeux se referment. Des larmes coulent. Les larmes d'une mère. Une mère impuissante face à la douleur qui dévore son enfant. 


Juste au moment de quitter la chambre, Martin se réveille. La porte du placard était restée ouverte. Le miroir sur la face intérieure de la porte est orientée vers le passage entre le lit et la porte d'entrée de la chambre. La lumière du couloir éclaire juste assez. Assez pour voir. Ou ne pas voir. Justine passe juste devant. Mais dans le miroir aucun reflet n'apparaît. 

Car elle n'est plus là.

Elle n'est plus là non plus depuis l'acci

dent.

Martin est tout seul.


vendredi 8 janvier 2021

 SPT


C’était vendredi. Comme à son habitude, John Hopper se dirigeait vers le Palace, le vieux cinéma de son quartier, qui offrait encore des films de qualité. Dans le temps, où il était encore flic, le cinéma était toujours bondé le week-end. Aujourd’hui les gens préfèrent les grands multiplexes en dehors des centres-villes où Spider man rivalise avec Star Wars. Le monde a bien changé se dit John Hopper en arrivant au Palace où seuls quelques habitués viennent encore. Ici, il connait Lauren, à l’accueil, toujours souriante. Il y a aussi Georges, le patron qui salue personnellement chaque client à l’entrée des salles. Et sans oublier Carlos le projectionniste, un bon ami de John. 


Mais aujourd’hui la séance n’allait pas se passer comme d’habitude. Le film allait se jouer dans la salle pour John. Cette soirée allait être spéciale. Cela faisait longtemps qu’il espérait ce jour où il coincerait l’enflure qui a tiré sur son coéquipier il y a quinze ans déjà. John est à la retraite depuis 10 ans mais il n’avait jamais réussi à résoudre cette affaire. Il a dû rendre son insigne avec ce lourd fardeau de ne pas avoir vengé Nick Anderson, son coéquipier depuis toujours. Ils ont monté les échelons ensemble, partagé les coups durs comme les victoires. Ils étaient soudés pour la vie. 


Il salua Lauren, Georges et même Carlos qui passait par le hall, lui serra la main. John sentit son cœur se serrer. Il devait le faire mais embarquer son copain Carlos dans cette foutue histoire, ne lui plaisait pas du tout. Il resta quelques instants à regarder les affiches. Il attendait quelqu’un, son nouvel « ami », Mike Fisher. Enfin, c’est l’identité qu’il lui a donnée. Cela fait plusieurs mois que John voit cet homme le vendredi soir dans ce cinéma. Lui aussi doit aimer les vieux films américains. Se croisant et se recroisant, ils ont fini par se saluer puis discuter un peu. Bien sûr John n’a pas pu s’empêcher de farfouiller un peu dans sa vie,  vieille habitude de flic. Il ne se sont jamais vus en dehors du cinéma. Chacun gardait une réserve, une distance, surtout Mike. C’est cela qui a mit la puce à l’oreille de John. Son instinct de flic fonctionnait encore. Et cette fois-ci, la chance était de son côté, il comprit assez vite qu’il s’agissait de l’assassin de Nick, son ami Nick, son frère d’armes, son coéquipier pour qui il aurait pu donner sa vie. 


Mike Fisher arrive enfin. Ils avaient décidé pour la première fois de regarder un film ensemble. Tous les deux étaient fan de Clint Eastwood. Ils entrèrent ensemble dans la salle et s’assirent l’un à côté de l’autre. Heureusement John avait gardé son flegme imperturbable et rien ne suggérait en lui la tempête qui le dévastait à l’intérieur. Ils échangèrent quelques banalités. John se demandait quand même si Mike l’avait reconnu. A l’époque, il était passé à la télé et dans les journaux. Même si c’était plutôt son chef qui parlait aux médias, son visage était apparu quelques fois en arrière-plan. 


Le film commença. Il fallait encore attendre une heure que les gens soient bercés par le film… Une heure plus tard, le noir complet envahit la salle. John n’ayant rien perdu de ses réflexes d’autrefois sortis un couteau de son blouson et d’un geste précis, poignarda le tueur de flic en plein dans le foie puis une deuxième fois en plein cœur. Les gens commençaient à se lever se demandant pourquoi la coupure de courant s’éternisait. John en profita pour sortir par la porte de derrière. Il avait terminé son travail et n’avait aucune envie de se faire cuisiner par ses anciens collègues avec l’arme du crime sur lui. 


L’inspecteur Martinez et son équipe arrivèrent sur les lieux du crime. La scientifique était déjà en plein travail. Les policiers interrogeaient les quelques personnes encore présentes sur les lieux après la découverte du  corps. La plupart était rentrée chez elles dès que Carlos avait annoncé qu’il ne comprenait pas d’où venait la panne et que la séance était annulée et remboursée. La victime s’appelait Mike Fisher. Il avait ses papiers sur lui mais l’enquête révèlera assez vite qu’il s’agissait de faux papiers. L’arme du crime d’après le médecin légiste était un couteau de chasse. Mais l’autopsie révèlera plus d’informations. Le geste du tueur avait été rapide et précis. Pas le geste d’un amateur impulsif. L’homicide avait été calculé et exécuté de sang-froid. La salle ne possédait pas de camera. C’était un vieux cinéma qui fermerait certainement bientôt. Mais le patron Georges connaissait la plupart des fidèles clients et a pu donc faire une liste rapide à l’inspecteur. Malheureusement il ne connaissait souvent que les prénoms. Il fût convoqué dès le lendemain au poste de police afin d’établir les portraits robots. La scientifique, de son côté, identifiera par l’ADN ou les empreintes les personnes déjà fichées à la police. Et l’assassin était soit un criminel fiché, soit il était passé entre les mailles du filet ou alors c’était un chasseur qui avait une grosse dent envers ce Mike Fisher. 


Carlos était mal à l’aise. Il ne savait pas trop s’il devait prévenir la police que le voisin de Mike était ce soir, l’ancien inspecteur John Hopper. Il ne pouvait pas croire lui-même que John avait pu commettre cet assassinat, en plus dans son cinéma. Bien sûr, les flics ont leurs histoires, leurs vieilles rancunes et ils savent des choses que le commun des mortels comme lui ignore. Mais ce n’était pas le John qu’il connaissait. Quand l’inspecteur Martinez l’a interrogé, il a prétendu qu’il n’a pas fait attention si une personne accompagnait la victime. Pourquoi y aurait-il prêté attention ? C’était tous les soirs le même boulot qu’on finit par faire machinalement. 


  Le lendemain matin, au poste de police, l’inspecteur fit un debrief rapide. Pour l’instant, on savait que Mike Fisher était en réalité Rodrigo Sanchez, fiché pour divers vols dans sa jeunesse mais rien ne justifiant d’être poignardé vingt ans plus tard. Georges, le patron du cinéma ne ménageait pas ses efforts pour établir les différents portraits des clients présents afin que la police puisse lancer une recherche de témoins. Le médecin légiste s’activait pour rechercher quelle arme exacte avait été utilisée. Plus tard dans la matinée, un premier indice fit frissonner l’inspecteur. Le portrait de son prédécesseur, l’inspecteur John Hopper. Georges le patron du cinéma, était catégorique, il savait qu’il avait été flic. Mais aussi catégorique : sa présence n’avait rien à voir avec l’homicide. Pour Martinez, cette coïncidence sonnait fausse. Il connaissait Hopper. C’était un flic à l’ancienne au caractère bien trempé. Il savait qu’il avait perdu son coéquipier. Il savait que l’assassin n’avait jamais été identifié. Un règlement de compte entre cartels de la drogue. Une balle perdue. Pourtant depuis sa retraite anticipée, il n’avait plus entendu parler de lui. Et Georges n’avait que des éloges pour Hopper. Martinez allait personnellement interroger à domicile John Hopper, inspecteur à la retraite. 


John Hopper était rentré chez lui juste après avoir commis l’assassinat du bourreau de Nick, en prenant garde comme on lui avait appris à l’école de police, de ne pas être suivi. Arrivé chez lui, il nettoya l’arme du crime très soigneusement et dans les règles. Demain, il ira rendre visite à son père, un chasseur invétéré, désormais en maison de retraite et atteint de la maladie d’Alzheimer. Ce couteau était son préféré et il avait été autorisé à le garder sous clé, à condition que l’ancien inspecteur en garde la clé. Personne n’irait chercher un couteau dans une maison de retraite et de toute façon aucun résidu de sang ou d’ADN ne serait trouvé. Et son père ne se souvenait que de rares fois de posséder encore son couteau fétiche.  


Samedi après-midi, en tout début de journée, Martinez frappa à la porte. John Hopper l’attendait. Il savait que Georges, Lauren ou Carlos se souviendraient qu’il était présent hier soir comme tous les vendredis soir. Il avait même une carte de fidélité. Pour dix séances achetées, une offerte. John accueillit l’inspecteur très cordialement. Il ne l’aimait pas vraiment. Trop protocolaire. John joua franc jeu. Il était au cinéma hier et quand la panne d’électricité eu lieu, il commençait déjà à s’assoupir devant le film. Il a attendu cinq minutes et a préféré rentrer sans demander son reste. Il a vu aux infos l’homicide et compter se rendre au poste cet après-midi comme témoin potentiel. Mais ce matin c’était jour de visite à la maison de retraite de son père. Le pauvre allait mal. Il ne voulait pas reporter. De toute façon au cinéma, il n’avait rien vu. La nouvelle l’avait attristée. Il croisait souvent ce type, adepte comme lui des séances du vendredi soir. Pourquoi mentir ? Même un policier moyen aurait fait le rapprochement. Martinez lui apprit qu’il s’agissait enfaite d’une petite frappe qui avait il y a longtemps commis quelques vols. Juste pour voir la réaction d’Hopper. Mais celui-ci savait jouer. Non, il l’ignorait. Pour lui c’était Mike Fisher, prof de français à la retraite. Ils s’étaient juste parlé quelques fois. Hopper voulut savoir s’il connaissait le mobile du crime, histoire de se rassurer. Martinez objecta le secret professionnel. Aucune fuite pour ne pas nuire à l’enquête. Mais on n’apprenait pas à un vieux singe à faire des grimaces. Hopper était rassuré. 


Une fois Martinez parti, John Hopper repensa au jour où il réalisa que c’était Mike le tueur de son coéquipier. John avait beau être flic, il en n’était pas moins cultivé. Quand Mike lui apprit qu’il était prof de français, il ne put s’empêcher de citer un grand auteur et aussitôt il comprit que Mike ne connaissait pas plus la littérature que lui la physique quantique. Ce qui confirma sa première intuition qu’il avait bien quelque chose à cacher. John décida d’enquêter, pour s’occuper, par habitude, parce qu’il  avait encore un réseau d’informateurs, sans vraiment penser trouver quelque chose. Et très vite en montrant une photo prise à la dérobée – on a beau être vieux jeu, les nouvelles technologies ont du bon aussi – un ancien indic le reconnut de suite. C’est Rodrigo Sanchez, un homme de main du Cartel de Sinaloa. Le même cartel présent le jour où Nick Anderson perdit la vie. Bien sur rien ne prouvait que Mike/Rodrigo était là et qu’il avait directement tiré sur Nick. Mais la douleur de cette plaie réouverte laboura un peu plus chaque jour les entrailles de Hopper. Était ce une coïncidence ? Ou un signe de la providence ? En creusant encore un peu plus, il finit par apprendre par un ex membre du gang, plutôt du genre jaloux, que c’était bien Rodrigo qui avait tiré. Ce n’était pas une balle perdue ! Rodrigo s’était retrouvé face à Nick et avait tiré tout simplement. Mais l’affaire avait fait grand bruit. Un flic mort en plein règlement de compte entre gangs. Rodrigo a été mit à l’écart par le chef du Cartel de Sinaloa : il continuait les combines mais il n’était plus sur le terrain. Il se fit alors oublier et la police ne remonta jamais jusqu’à lui. De plus une grosse affaire de tueur en série surmédiatisée avait vite prit le relais. 


John Hopper pensa un moment prévenir la police. Puis il se souvint comment on l’avait poussé à prendre sa retraite anticipée pour cause d’instabilité suite au traumatisme de la mort de Nick. Le psy avait diagnostiqué « stress post-traumatique ». Des années pour reprendre un semblant de vie ordinaire, pour ne plus ressasser le jour de la fusillade, la mort de son coéquipier, l’enquête bâclée et le coup de pied vers la sortie après plus de vingt ans de loyaux services. 


John Hopper passa des mois à ruminer ce qu’il pouvait faire, ce qu’il voulait faire, ce qu’il devait faire. Il pensa à le filer un soir en sortant du Palace mais on aurait pu le surprendre. Et s’il rejoignait le Cartel, John  courrait droit dans la gueule du loup. Le seul endroit et le seul moment où il était sûr de le trouver seul, était au cinéma le vendredi soir. Au hasard d’une lecture, il eut l’idée de la panne de courant afin de vite fuir avec l’arme du crime. Il paya grassement le dealer qui a balancé Rodrigo sans aucun remord pour trafiquer le vieux générateur électrique du cinéma. Faire confiance à une balance était un risque mais John s’impatientait de trouver l’idée du siècle et après tout, la vengeance de Nick méritait ce risque. En prison, les flics sont dans des quartiers sécurisés. Certaines ont même des cinéclubs. 


Le médecin légiste finit par identifier le type de couteau. Il s’agissait d’un Cudeman Bush line avec une lame de vingt centimètres, idéal pour chasser le cerf. Mais il n’y a pas de cerfs ici à Chicago. L’arme du crime ne fut jamais retrouvée. Personne ne savait que le père de John avait été chasseur dans une autre vie, dans un autre Etat. Connaissant sa maladie, la police n’a même pas essayer de l’interroger. Et enquêter sur un ex inspecteur n’était pas vraiment bien vu. Rodrigo finit par être relié au cartel de Sinaloa. Mais une balle perdue est une balle perdue. Et personne n’alla jusqu’à faire un rapprochement parce qu’au fond si Rodrigo Sanchez était bien le tueur de Nick Anderson, alors ce n’était que justice. Pourtant John Hopper n’avait pas d’alibi. Même pire que ça, son alibi était la scène de crime. Mais les hommes voient ce qu’ils ont envie de voir, ce qu’ils peuvent voir, car une fois qu’on sait, on est obligé d’agir. Et personne n’avait envie d’envoyer John Hopper en prison.

L'attente

  L'attente Comme au plus profond de l'abîme Comme si j'étais la victime  Comme dans un espoir infime Je t'attends,  Comme s...